mardi 18 février 2014

"Qui a eu cette idée folle un jour d'inventer l'école?"

                           
                                                         Robert  Doisneau, 1936

Je n'ai jamais eu de problème à l'école, j'aimais ça, apprendre plein de trucs, voir les copains. Parcours classique, plutôt bonne élève, mon premier réel échec je l'ai connu le dernier semestre de la licence, un peu comme si je n'avais pas envie de l'avoir et de passer à l'étape supérieure. En fait, je ne savais pas quoi faire comme master et je pense que mon inconsciemment j'ai préféré louper que choisir. J'étais bien dans cette ville là avec ces amis et puis plutôt que de réviser, j'avais un peu autre chose en tête notamment l'organisation d'un voyage pour l'été. Peut-être qu'avec du recul, j'aurai un peu plus mis la gomme ce semestre là ou peut-être pas.

En ce moment je lis, Le petit bonzi de Sorj Chalandon, je ne suis à un peu plus d'un tiers du bouquin et certains passages sur l'école m'ont touchés. J'aime les mots qu'emploie ce professeur, Manu comme l'appellent ses élèves qui explique à Jacques ce qu'est être un professeur (l'histoire se passe en 1964)  .

Je n'ai aucun mauvais souvenir de prof envers moi-même, bien sûr que y'en a eu des bons, des sympas, des marrants et ceux avec lesquels on comprend rien et dont l'heure nous paraît une éternité. Je connais d'autres enfants pour lesquels c'est plus difficile, de trouver la compréhension du professeur, d'avoir de l'intérêt à rester assis sur sa chaise pendant des heures. Un petit garçon de mon entourage est plein de vie, dynamique et super actif, il adore travailler avec son père et bricoler, mais vraiment presque comme un adulte alors qu'il est au CP. Son institutrice a déjà dit à ses parents que l'école ce n'était pas pour lui, c'est vrai qu'il n'aime pas ça, qu'il pleure souvent le matin en se préparant pour y aller et déjà il livre une petite bataille pour écrire son prénom, c'est déjà trop difficile. Alors je pense à lui et je pense à toutes ses années qui l'attendent et j'espère qu'il y aura plein de Manu sur son chemin. Parce que pour moi, et peut-être aujourd'hui un peu plus, être professeur, c'est une vocation, c'est vouloir enseigner sa matière mais aussi transmettre des valeurs, être un peu éducateur, psy, un référent femme ou homme quand il n'y en a pas à la maison, une épaule sur laquelle on peut compter quand on est enfant.

"- C'est quoi Jacques, un élève?
- C'est comme moi, bégaye Jacques.
- Et tu es quoi, toi?
- Un enfant? hasarde Jacques
- Voilà, c'est ça. Un enfant répète Manu. Tu es un élève et moi je suis le maître. Tu es un enfant et moi je suis un adulte. Et quand l'adulte fait un travail de maître, il doit apprendre des choses à l'élève et faire attention à l'enfant."

"Et tu vois, Rougeron, un maître, il ne doit pas avoir de préféré. Il ne doit pas aimer plus Lhéris ou Bonval parce qu'ils ont de bonnes notes. Il doit aussi aimer Couturier même si Couturier parle tout le temps, il doit aussi aimer Ottaviani même si c'est un bagarreur. Il doit aimer tout le monde pareil? Tu comprends?
- Oui, dit Jacques.
- Le maître, il doit faire aussi faire attention aux plus petits. Pas les plus petits en taille, les plus petits en tout. Ceux qui regardent dehors pendant la classe, ceux qui sont seuls pendant la récréation, ceux que les autres embêtent, ceux qui ont des trous dans leur chaussures, ceux qui ont un bleu sur la figure le matin, ceux qui n'ont pas mangé quand ils arrivent en classe, ceux qui n'ont pas de manteau en hiver.
   Jacques regarde Manu. Sa tête dans ses mains, ses yeux sans ses lunettes. Le maître ne le quitte pas du coeur.
- Tu comprends, Jacques Rougeron?
  Bonzi hoche la tête.
- Ceux-là, il faut encore plus leur montrer qu'on fait attention à eux. Il faut encore plus les regarder, encore plus les écouter, encore plus leur demander s'ils sont tristes.
- Manu parle de nous, souffle Bonzi.
- Quand Couturier fait du bruit en classe, quand il fait la trompette avec son nez, commence Manu.
   Jacques rit.
- Tu vois, je sais que c'est lui, la trompette. Et bien quand il fait la trompette avec son nez, je le regarde en fronçant les sourcils et il s'arrête. Je fronce les sourcils parce que je suis le maître. En même temps, j'ai envie de rire parce qu'il fait drôlement bien la trompette. J'ai envie de savoir comment il fait, j'ai envie qu'il vienne au tableau et qu'il nous montre comment on fait toute la gamme avec son nez. J'ai envie qu'on fasse tous la trompette ensemble. Tu comprends ça?
- Oui, sourit Jacques.
   Il regarde Manu. Il se demande. Il a un peu peur. Il ne comprend pas pourquoi Manu parle de Couturier, de trompette, il se demande s'il ne va pas être puni.
- Tu sais ce que fait Couturier quand il fait de la trompette.
Silence.
- Il appelle au secours, dit Manu.
Jacques ouvre grands les yeux.
- Chaque fois qu'il ne sait pas une réponse, il couine avec son nez, tu as remarqué?
Jacques dit que oui avec la tête.
- Il couine aussi quand il est triste et en ce moment, il est toujours triste, tu sais pourquoi Drelin est triste?
   Jacques est stupéfait. Drelin! Manu a appelé Couturier Drelin ! Il connaît le nom de quand ils se moquent.
- Couturier est triste parce que vous l'appelez Drelin et aussi parce que ça va être Noël, dit Manu.
(...)
- Et tu sais pourquoi Drelin est triste à Noël?
Jacques secoue la tête.
- Parce qu'il n'a plus de parents, dit Manu."

"- Tu vois Rougeron, Manu gronde Couturier mais moi je prends toujours soin de lui.
(...)
- Et toi aussi, je prends bien soin de toi, dit Manu, parce que tu es petit et tu as mal."

La longueur du truc, désolée, mais j'avais envie de partager ça, cette vision là qui je ne doute pas est partagée par plein plein de personnes et de profs.

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